CHAPITRE VINGT ET UN

« Eh bien, qu’est-ce que ça vous inspire ? demanda Grégor O’Shaughnessy avec un sourire en coin.

— Si vous me demandez mon opinion professionnelle sur la manière dont nous avons réussi ça, je n’en ai pas la moindre idée », répondit le capitaine de frégate Ambrose Chandler, l’officier de renseignement d’Augustus Khumalo.

Assis à une petite table en face de son homologue civil dans l’équipe de la baronne de Méduse, il profitait du soleil de l’après-midi de Dé-à-Coudre, la capitale au nom improbable de la planète Lin. Fuseau A, la lointaine primaire Go du système binaire, chauffait les épaules des deux hommes, et une brise chargée d’iode agitait doucement la nappe qui couvrait leur table en terrasse, au-dessus de la digue, dominant les vagues bleu et argent de l’océan d’Humboldt.

« Même si vous pouviez me dire comment nous avons fait, ça ne m’apprendrait sans doute pas grand-chose, Ambrose », fit l’analyste de dame Estelle, inspirant à Chandler un petit rire. Ayant gravi les échelons de la communauté du renseignement manticorienne côté civil, il ne comprenait pas vraiment le mode de raisonnement des militaires, pas plus qu’il n’en partageait le point de vue sur beaucoup de problèmes. Par bonheur, il en était conscient et il essayait – parfois sans succès – d’en tenir compte lorsqu’il devait coordonner son action avec celle de ses collègues de la Spatiale.

« Je m’inquiétais plus de ce que vous appelleriez sans doute les implications stratégiques, continua-t-il, et le sourire de Chandler disparut.

— Militaires ?

— Militaires et politiques. » O’Shaughnessy haussa les épaules. « Je suis en meilleure position du côté politique que du côté militaire, bien sûr, mais, vu la situation, tout point de vue supplémentaire me sera utile. J’ai la très étrange impression que tout le Royaume stellaire – pardon, l’Empire stellaire – est en train de tomber dans le terrier du lapin blanc de la Vieille Terre.

— Le terrier du lapin blanc ? répéta son interlocuteur en le regardant avec curiosité, et l’analyste secoua la tête.

— Ne cherchez pas : c’est une vieille référence littéraire, rien d’important. Ça veut juste dire que je me sens très désorienté en ce moment.

— Vous n’êtes pas le seul, assura Chandler avant de boire une nouvelle gorgée de bière puis de se caler au fond de son fauteuil. Militairement, Havre est foutu si – et je vous prie de noter la nuance, Grégor – on réussit à généraliser le déploiement de ce qu’a lancé la duchesse Harrington en Lovat. Selon moi, il s’agit d’un développement de la télémétrie à impulsions gravitiques que nous utilisons déjà dans les Cavaliers fantômes. Comment l’atelier de l’amiral Hemphill a réalisé ça et quel genre de matériel entre en jeu sont deux questions auxquelles je ne puis répondre pour l’instant. Je suis barbouze, pas officier tactique, donc je suis sans doute mieux informé du matériel havrien que du nôtre : mon boulot c’est de connaître l’ennemi. Il est cependant assez clair, au vu des rapports préliminaires, que l’innovation de la duchesse Harrington a énormément accru la précision à longue portée des MPM, et ç’a toujours été leur plus gros problème. »

O’Shaughnessy hocha la tête pour montrer qu’il suivait. Malgré son manque d’expérience militaire, il n’aurait pas été le premier analyste de renseignement de Méduse s’il n’avait acquis au moins une vague idée des capacités de la Spatiale.

Les dépêches informant Khumalo et la baronne de la bataille de Lovat n’avaient atteint Fuseau que la veille au soir. Il ne doutait pas que son compagnon fût lui aussi encore en train d’assimiler tout ce qui les accompagnait. Et il ne doutait pas non plus que Loretta Shoupe, qui, contrairement à Chandler, était une spécialiste de la tactique, aurait constitué une meilleure source s’il s’était intéressé aux détails techniques. O’Shaughnessy, qui appréciait Shoupe, comptait bien discuter avec elle des aspects militaires de Lovat mais, pour l’heure, il avait davantage besoin d’une vue générale que de détails. En outre, Chandler était comme lui analyste : il saurait mieux que Shoupe de quelles informations il avait besoin.

« Les MPM et les capsules ont renversé l’équilibre entre armes à énergie et missiles, reprit l’officier, mais nous n’avons jamais vraiment tiré parti du système parce que la portée des missiles dépassait largement la portée effective de notre contrôle de feu. Si l’amiral Hemphill a trouvé le moyen de leur intégrer une télémétrie supraluminique, ce déséquilibre a désormais changé. Et, si nous en sommes capables alors que les Havriens ne le sont pas, ils vont se retrouver aussi surclassés que lorsque le comte de Havre-Blanc leur a botté le cul la dernière fois. Mais, pour ça, la duchesse Harrington va devoir aligner suffisamment de vaisseaux dotés de cette capacité, quelle qu’elle soit. Faute de quoi les Havriens disposeront d’assez de coques pour encaisser les coups et continuer d’approcher. On peut donc toujours se demander si, oui ou non, notre qualité suffira à faire échec à leur quantité.

— Est-ce qu’on se serait servi de ce nouveau système si on n’était pas prêt à en généraliser le déploiement ? demanda O’Shaughnessy.

— J’aimerais croire que non, répondit Chandler, un peu plus grave. Mais j’en suis bien moins sûr que je ne le voudrais.

— Parce que le sommet a capoté ?

— Exactement. Ou peut-être, pour être plus précis, en raison de la manière dont il a capoté. Si je pensais que nous y avions renoncé après une froide analyse de nos avantages militaires, je serais bien plus rassuré. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit, n’est-ce pas ? Ce sont des considérations politiques – nées au moins autant de l’émotion que de l’analyse – qui ont dicté la décision du gouvernement. Nous pourrions donc avoir affaire à une décision militaire non optimale, fondée sur une nécessité politique.

— Est-ce que toutes les décisions militaires, au bout du compte, ne sont pas fondées sur des nécessités politiques ? interrogea O’Shaughnessy, un peu provocateur.

— Vous n’allez pas me faire entamer cette discussion-là, Grégor ! grogna Chandler. Je ne conteste pas que les objectifs et les stratégies militaires doivent être définis au sein d’un contexte politique. Et, en tant qu’officier de la Flotte de la Reine, j’accepte pleinement la nécessité d’un contrôle civil de l’armée, donc la subordination des décisions militaires à celles du gouvernement. Tout ce que je dis, en l’occurrence, c’est que celle de reprendre les opérations actives a été surtout politique. Il appartient à l’amiral Caparelli et au conseil stratégique de déterminer le meilleur moyen d’appliquer de telles décisions, mais ils ne peuvent le faire que dans la limite des outils à leur disposition. Ils ont donc pu décider d’utiliser une arme qui n’est pas tout à fait prête pour un déploiement généralisé. Ou qui se trouve à une étape du processus plus précoce que celle qu’on aurait attendue en d’autres circonstances.

— Au moins en partie dans l’espoir de faire croire aux Havriens qu’elle est bel et bien prête à être déployée, voulez-vous dire ?

— Peut-être. Et il est aussi possible que ça m’inquiète plus que nécessaire, admit Chandler. Après tout, même si on est prêt à lancer le déploiement général demain, il fallait bien utiliser ce machin pour la première fois quelque part.

— Mais vous ne pensez pas qu’on soit prêt, n’est-ce pas ? dit O’Shaughnessy, perspicace. Pourquoi ?

— Parce que si nous étions déjà universellement équipés de ce truc-là, nous aurions attaqué La Nouvelle-Paris, pas Lovat, répondit Chandler avec une brutalité égale à celle de la question. Lovat est une cible importante mais pas autant que la capitale havrienne, et de loin. Vu ce que tout le monde, chez nous, pense de l’assassinat de l’amiral Webster et de l’affaire de Torche, croyez-vous que l’Amirauté et le Palais n’auraient pas choisi de porter un coup fatal s’ils s’en étaient estimés capables ?

— Hum. » O’Shaughnessy plissa le front. Il avait entretenu quelques réserves sur l’imagination du capitaine au cours des mois durant lesquels ils avaient travaillé ensemble, mais, en ce qui concernait cette analyse-là, il n’en manquait nullement.

« Bon, reprit-il au bout d’un moment. Supposons que vous ayez raison. Ce nouveau système de guidage, ou quoi que ce soit, est pour l’instant limité à la Huitième Force. Pensez-vous que nous aurions informé Havre que nous le possédons si nous n’étions pas au moins prêts à le déployer de manière plus large ? »

Interrogé du regard, Chandler hocha la tête.

« Bien. Supposons donc que son déploiement se généralise dans les mois qui viennent. Que se passera-t-il ?

— En supposant qu’on dispose du temps en question, les Havriens sont foutus. Il faudra peut-être quelques mois de plus pour que la fumée se dissipe et qu’on règle les termes de leur reddition, mais je ne vois pas ce qui pourrait les sauver dans une situation pareille. Et, franchement, je ne vois aucune raison pour laquelle, cette fois, Sa Majesté accepterait autre chose qu’une reddition sans conditions. Et vous ?

— Aucune ! grogna O’Shaughnessy, dont l’expression était plus inquiète que celle de son interlocuteur. J’aimerais juste qu’on en sache plus sur les intentions des Solariens, reprit-il. Je sais qu’ils donnent l’impression de vouloir abandonner la partie après les événements de Monica, mais j’ai un… je ne sais pas, une démangeaison.

— Une démangeaison, répéta Chandler, pensif.

— Je sais, je sais ! Ce n’est pas le genre de terme technique qui contribue à la mystique de notre profession, Ambrose. Malheureusement, je n’en trouve pas de meilleur.

— Pourquoi ?

— Si je le savais, je le trouverais, répondit O’Shaughnessy, aigre, avant de soupirer. C’est sans doute juste le fait que toute l’opération Monica semble avoir été montée par Manpower et Technodyne. Pas par la Sécurité aux frontières ni par une bureaucratie solarienne quelconque mais par deux entreprises commerciales. D’accord ?

— Pour le moment, admit Chandler. Elles devaient être sûres d’avoir la Sécurité aux frontières – ou au moins Verrochio – dans leur manche avant de la lancer, mais c’est bien à ça que ça ressemble.

— Et c’est ce qui m’inquiète. D’abord, je trouve l’échelle et… l’audace de ce qu’elles avaient en tête un peu démesurées, y compris pour des entreprises mesanes. Ensuite, considérez l’investissement mis en jeu. Elles seraient certainement rentrées dans l’essentiel de leurs frais d’une manière ou d’une autre si ça avait marché, mais elles ont dépensé des centaines de milliards pour monter leur coup. C’est un sacré risque, même pour des boîtes pareilles. Enfin, si j’étais Manpower et si je n’avais vraiment voulu qu’empêcher l’annexion de l’amas de Talbot, j’aurais pu trouver une approche bien moins chère, moins dangereuse… et sans doute au moins aussi efficace.

— Vraiment ?

— Et comment. » O’Shaughnessy secoua la tête. « Ils se sont servis d’une masse très grosse et très chère alors qu’un petit marteau aurait suffi. D’ailleurs, le marteau en question, ils l’avaient depuis le début ! Regardez le résultat obtenu ne serait-ce qu’avec Nordbrandt. Et, si Terekhov et Van Dort n’avaient pas découvert par hasard le rapport avec Manpower – je ne veux pas diminuer leurs mérites mais ils sont vraiment tombés dessus par hasard, vous savez –, Westman serait sans doute aussi encore en train de nous tirer dessus sur Montana. Investir quelques centaines de millions en comités d’action politique et financer d’autres malades mentaux, leur fournir des flingues et des bombes, aurait maintenu tout l’amas en ébullition plus ou moins indéfiniment, à moins que nous n’ayons recours à une répression autoritaire. Et ce résultat aurait été obtenu en limitant les risques, les frais et la publicité pour Manpower. Ça n’aurait peut-être pas empêché l’Assemblée constituante de voter une Constitution acceptable, encore que je n’en sois pas sûr, mais, même alors, l’agitation politique aurait sans doute atteint un niveau qui nous aurait forcés à rester tricoter chez nous au lieu de venir embêter les Mesans dans leur arrière-cour. Alors pourquoi cette opération grandiloquente ? Pourquoi investir tant d’argent et risquer cette pilée que prennent les deux sociétés dans les sondages de l’opinion publique solarienne à présent que ça leur a pété à la figure ?

— Je n’y avais pas réfléchi en ces termes, admit Chandler, pensif. Je supposais juste que, de leur point de vue, c’était de la cupidité et de l’autodéfense. Nous empêcher d’arriver dans l’amas et prendre le contrôle du terminus de Lynx aurait été pour eux la solution idéale.

— Je n’en disconviens pas. Mais je crois que ce n’est pas le genre de solution qu’ils auraient dû chercher. À une poignée d’exceptions près, comme Torche, le gouvernement mesan ne s’est jamais montré intéressé par le jeu politique interstellaire. Presque toutes les réalisations de Manpower et des autres entreprises mesanes sont… insidieuses. Elles cherchent à acquérir de l’influence par la corruption et la menace, du moins chaque fois qu’elles affrontent quelqu’un susceptible de rendre coup pour coup. Cette histoire ne leur ressemble pas du tout et, quand un joueur change de tactique, ça me rend nerveux. Ça me donne l’impression que quelque chose remue sous la surface. Quelque chose qu’il nous faut découvrir avant que ça ne surgisse des profondeurs pour nous arracher le fond de culotte.

— Vous avez peut-être raison, admit l’officier au bout de quelques secondes. Cela dit, quoi qu’elles aient pu mijoter cette fois, ça n’a pas marché.

— Cette fois, oui, acquiesça O’Shaughnessy. Mais nous ne savons toujours pas comment les Solariens vont réagir au bout du compte. Et si elles ont tenté un truc pareil une fois, comment savoir qu’elles ne vont pas nous trouver une manœuvre aussi… inventive à l’avenir ? C’est une des raisons pour lesquelles j’espère que vous avez raison en ce qui concerne la situation militaire havrienne à la lumière de Lovat. Je ne suis peut-être pas sûr de ce que préparent les Mesans, mais j’ai envie qu’on ait le moins possible de distractions s’ils font un deuxième essai pour déclencher une guerre entre la Ligue solarienne et nous. »

 

« Merci de me recevoir aussi vite, Junyan, dit Valéry Ottweiler en pénétrant dans le bureau inondé de soleil dont la porte se referma derrière lui en silence.

— Votre message disait que c’était assez urgent, répondit le vice-commissaire Hongbo Junyan de la Direction de la sécurité aux frontières, qui se leva pour serrer la main de son visiteur. Par ailleurs, je suis toujours enchanté de vous voir, Valéry. »

Il ne s’était pas soucié de très bien mentir en prononçant cette dernière phrase, remarqua son visiteur, amusé. Compte tenu de ce qui s’était produit en Monica, Ottweiler devait être une des dernières personnes de toute la Galaxie qu’Hongbo Junyan avait envie de voir. Toutefois, il était nécessaire d’observer certaines conventions diplomatiques, même si les diplomates connaissaient de part et d’autre leur parfaite absence de sincérité. Hongbo n’avait hélas ! eu d’autre choix que d’accepter cette rencontre : il se trouvait bien trop profondément et depuis bien trop longtemps dans la poche de l’entreprise Manpower pour refuser de voir un représentant diplomatique de son monde d’origine : chacun savait que ses sociétés industrielles gouvernaient dans les faits le système mesan.

« Que puis-je pour vous ce matin ? » continua Hongbo en désignant un fauteuil. À son ton, il était évident qu’il n’avait pas l’intention d’en faire plus pour Mesa – ou Manpower – qu’il n’y serait obligé. Puisque tous les deux en étaient conscients, Ottweiler ne vit aucune raison de tourner autour du pot.

Surtout que je vais sûrement être obligé de lui forcer la main à la limite de la lui démettre avant la fin de notre entretien, songea-t-il.

« Eh bien, dit-il, je viens de recevoir de nouvelles instructions de chez nous.

— Vraiment ? » Ottweiler ne fut pas surpris qu’un peu de méfiance se fût glissée dans la voix d’Hongbo. Après tout, ce n’était pas un imbécile.

« Oui. Il semble que certains acteurs influents de mon gouvernement – et de la communauté des affaires mesane en général – ne soient pas satisfaits du tout de la manière dont s’est soldée l’affaire de Monica.

— Vraiment ? Je ne vois pas pourquoi. » Le sarcasme imprégnant la réponse du vice-commissaire soulignait sa propre insatisfaction en la matière et émettait un commentaire acerbe sur l’identité de qui était, selon lui, responsable du fiasco.

« Je vous en prie, Junyan. » Ottweiler secoua la tête, las. « Pouvons-nous considérer comme acquis qu’aucun de ceux qui ont pris part à l’opération n’en est très satisfait ? Il y a eu largement de quoi éclabousser tout le monde, je vous l’assure. »

Il soutint le regard d’Hongbo jusqu’à ce qu’enfin ce dernier acquiesçât.

« Merci, fit-il. Toutefois, les considérations qui ont poussé mon gouvernement à s’y impliquer restent valables. Une présence manticorienne dans notre région constitue une menace significative, non seulement pour les intérêts commerciaux de notre communauté des affaires mais pour la sécurité même du système de Mesa. Vous comprendrez que l’échec de notre soutien à Monica ait mené à une certaine réévaluation de nos options et de nos besoins, j’en suis sûr.

— Je m’en doute, acquiesça Hongbo. Cela dit, je ne suis pas sûr de voir quelles options il vous reste pour le moment. Les Talbotiens ont ratifié leur précieuse Constitution, le Royaume stellaire est officiellement devenu l’Empire stellaire, et le lynchage médiatique dont nous avons tous souffert ne nous laisse pas beaucoup de marge de manœuvre, n’est-ce pas ?

— Non… et si », dit Ottweiler. Le vice-commissaire se raidit derrière son bureau : c’était à l’évidence la dernière réponse qu’il avait eu envie d’entendre.

« Avant que vous n’alliez plus loin, Valéry, fit-il, soyons clairs sur un point, d’accord ? Je suis prêt à faire beaucoup pour vous rendre service, à vous et à votre « gouvernement », et c’est aussi le cas de Lorcan, mais il y a des limites très claires à ce que nous pouvons consentir. Surtout après ce qui s’est passé en Monica. Et, au diable la subtilité ! l’assassinat de Webster n’aide sûrement pas.

— Nous n’y sommes pour rien, assura Ottweiler sur un ton léger. Tout le monde sait que c’est un coup de la République de Havre, non ?

— Mais oui, bien sûr, grogna Hongbo. Quel que soit le responsable, ça a mis la presse en ébullition, chez nous, surtout compte tenu de ce que disait Webster à propos de vos modestes agissements dans le Talbot. Quand un si gros bordel se produit et qu’il génère autant de boucan dans les journaux, même notre public commence à s’intéresser. Et, dans ces cas-là, le ministère de la Justice ne peut pas étouffer éternellement l’affaire. La presse exige des procès spectaculaires, et la Justice va devoir les lui donner. Bon sang, il y a même une demi-douzaine de cadres supérieurs de Technodyne sur la sellette.

— Oui, c’est malheureux. Cela dit, ni vous ni moi ne travaillons pour Technodyne, n’est-ce pas ?

— Non, mais Lorcan et moi travaillons pour la Direction de la sécurité aux frontières, et nous entendons déjà parler de tout ça par le bureau central. Jusqu’ici, la DSF s’est débrouillée pour rester dans l’ombre, et cette fourmi de Corvisart n’a pas fait beaucoup d’efforts pour nous en tirer. Jusqu’ici.

— Bien sûr que non. » Ce fut au tour d’Ottweiler de grogner. « Vous croyez que les Manties ont envie d’affronter la Flotte de la Ligue ? Surtout à présent que cette histoire de réunion au sommet s’est effondrée et qu’ils ont à nouveau Havre sur le dos ?

— Évidemment pas, mais ce n’est pas ce que je veux dire. » Hongbo tapota de l’index le sous-main de son bureau. « Il serait certes regrettable pour Manticore de se retrouver confronté avec la Flotte, mais cela pourrait l’être aussi pour quiconque aurait aidé à… provoquer la confrontation. Personne à la DSF ne veut fournir aux journaux – ni aux Manties – d’autres munitions contre nous. Il est déjà assez déprimant qu’on ait l’air incompétents au point d’avoir laissé un tel bazar se produire sous notre nez. Après tout, les Manties ne sont pas des néobarbares typiques. Ils ont de bien meilleurs contacts sur la Vieille Terre que la plupart des gens, ce que vous avez clairement reconnu en prenant la décision d’éliminer Webster – oh, pardon, je voulais parler des Havriens. La vérité, Valéry, c’est que Lorcan et moi avons reçu en termes non équivoques l’ordre de laisser Manticore tranquille. Ce qui, pour être franc, est exactement ce que j’aurais décidé tout seul.

— Je suis désolé de l’entendre, dit calmement Ottweiler. Mes instructions sont malheureusement assez différentes.

— C’est bien dommage, compte tenu du fait que je ne puis rien y faire.

— Oh, que si !

— Non, rétorqua platement Hongbo. Rien du tout. Vous savez aussi bien que moi comment fonctionne la DSF, Valéry. Oui, pour l’essentiel, les commissaires sont à peu près libres de gérer leurs secteurs. Et chacun sait qu’en conséquence nous avons tous des « amis spéciaux » qui bénéficient d’un traitement de faveur. Mais, au bout du compte, nous sommes tous soumis au contrôle du ministère, et je vous répète que l’ordre a été donné. Plus de mauvaise presse en provenance du Talbot, au moins jusqu’à ce que le bordel actuel ait eu une chance de se calmer et de déserter la mémoire du public. Étant donné que le public en question a la capacité d’attention d’une mouche, ça ne devrait pas imposer un trop grand délai à vos supérieurs, mais, pour l’instant, j’ai les mains liées. »

Ottweiler inclina la tête de côté, pensif, comme s’il pesait ce qui venait d’être dit. Dans la position du Solarien, c’était parfaitement sensé, bien sûr. Lorsqu’il parlait du « contrôle du ministère », Hongbo ne faisait pas allusion à un individu aussi négligeable et aussi éphémère que le ministre des Affaires étrangères solarien, quel qu’il fût pour le moment. Il parlait de la bureaucratie profondément dissimulée qui dirigeait dans les faits le ministère des Affaires étrangères, comme d’autres, similaires, dirigeaient tous les domaines du gouvernement et de l’armée solariens. Quoique ces bureaucraties fussent en effet dégagées de toute autorité de leurs maîtres politiques théoriques, les périodiques explosions d’indignation du public de la Ligue face à la corruption gouvernementale pouvaient s’avérer déplaisantes pour tous les individus concernés. Telle était la véritable raison pour laquelle le gouverneur Barregos – ayant acquis une fantastique réputation d’efficacité et d’honnêteté – n’avait pas été rappelé depuis longtemps du secteur de Maya. Il n’était donc guère surprenant que les supérieurs des commissaires ou gouverneurs de secteur, collègues de Hongbo et de Verrochio, voulussent voir cette affaire disparaître aussi vite que possible, afin de sortir de sous leurs rochers et de reprendre leurs affaires habituelles.

« Je suis désolé, répéta-t-il au bout de quelques secondes, mais je crains que mes supérieurs ne soient très insistants dans ce cas précis, Junyan.

— Vous ne m’écoutez pas ou quoi ? » Hongbo paraissait exaspéré. « Je ne peux absolument rien faire !

— Mais si. » Ottweiler laissa un peu de patience indulgente imprégner sa propre voix. « Sinon, je ne serais pas assis là.

— Valéry…

— Écoutez-moi une minute, Junyan », coupa-t-il, et les yeux d’Hongbo s’étrécirent devant son accent péremptoire. Ce n’était pas une inflexion qu’il avait l’habitude d’entendre dans son bureau, et la colère flamboya dans ses yeux sombres. Toutefois, il la musela, crispa les mâchoires et hocha sèchement la tête.

« Très bien, reprit alors le Mesan. Il est temps de jouer cartes sur table. Les gens pour lesquels je travaille – vous savez aussi bien que moi de qui il s’agit – ne sont pas contents. En fait, ils sont très mécontents et ils comptent y remédier. Voilà pourquoi je suis assis là et, pour être franc, je suis moi-même abasourdi par les ressources dont ils disposent. D’abord, croyez-vous que ce soit une coïncidence si l’amiral Byng commande le détachement de la Flotte des frontières envoyé soutenir votre position après Monica ? Je vous en prie ! » Il leva les yeux au ciel. « Byng fait partie de ces connards moralisateurs de la Flotte de guerre. Il ne commanderait pas un détachement de la Flotte des frontières si quelqu’un ne s’était pas assuré que ce soit le cas. Et, à votre avis, qui est ce quelqu’un ? »

Les yeux de Hongbo étaient encore plus plissés qu’auparavant mais la spéculation commençait à y remplacer la colère – ou du moins à s’y ajouter.

« Ensuite il y a le petit détail des « exercices d’entraînement » que l’amiral Crandall a décidé d’effectuer en MacIntosh.

— Quoi ? » Le Solarien se redressa sur son siège. « Qu’est-ce que vous racontez ? Personne ne nous a rien dit à propos d’exercices en Macintosh !

— Vous n’avez pas dû recevoir le mémo. Peut-être du fait que Crandall appartient à la Flotte de guerre, pas à la Flotte des frontières. La Flotte de guerre ne vous adresse pas trop la parole, à vous, les ploucs des frontières, hein ?

— La Flotte de guerre », répéta Hongbo. Cette information lui inspirait visiblement une profonde surprise. Si profonde qu’il en ignora le coup de patte d’Ottweiler soulignant le profond mépris de la Flotte de guerre pour la Flotte des frontières et la DSF.

« Eh oui, acquiesça le Mesan. Je n’en savais moi-même rien avant Monica, mais il semble que l’amiral Crandall ait choisi MacIntosh comme site de ses derniers exercices. » Il haussa les épaules. « Il est un peu inhabituel que la Flotte de guerre s’aventure aussi loin dans les Marges mais, apparemment, Crandall voulait entraîner le train d’escadre en plus des escadres de combat. À ce que je sais, la Flotte de guerre n’a pas déployé plus d’une seule escadre jusqu’à la frontière depuis plus de quatre-vingt-dix ans T, et certains se sont demandé si elle avait encore les capacités logistiques de soutenir ses propres opérations hors des bases établies de la Vieille Ligue.

— Je suis censé comprendre que l’amiral Crandall effectue ses exercices avec plus d’une escadre ? demanda lentement Hongbo.

— Eh bien, je crois que Crandall dispose d’une centaine de vaisseaux du mur », dit Ottweiler sur un ton badin. Son interlocuteur se laissa brutalement choir au fond de son fauteuil. « Ce qui frappe mes supérieurs, continua le Mesan, c’est qu’avec trois escadres complètes de croiseurs de combat de la Flotte des frontières, plus leurs éléments de soutien, déjà attachés au secteur de Madras pour renforcer vos propres unités, et avec un contingent aussi puissant de la Flotte de guerre fortuitement cantonné dans la région, il serait peut-être temps pour le commissaire Verrochio de réparer les accrocs au prestige de la Ligue entraînés par cette terrible situation en Monica. Je n’ai pas besoin de vous expliquer à quel point il serait regrettable que les systèmes des Marges prennent la Sécurité aux frontières à la légère ou s’imaginent qu’elle ne punirait pas quiconque lui marcherait sur les pieds en public de cette manière. Quant à l’opinion publique solarienne qui vous inquiète tant, il serait sûrement utile de la diriger vers une autre cible, vous ne croyez pas ? Une cible comme… oh, la preuve que, quoi que puissent dire les Manticoriens, et autant que leurs porte-parole sur la Vieille Terre puissent monter en épingle les événements de Monica, ils sont en vérité aussi impérialistes et exploiteurs que nous l’avons toujours su.

— Et comment procéderions-nous exactement ? demanda Hongbo.

— D’après les renseignements dont je dispose, le système de la Nouvelle-Toscane connaît déjà de graves problèmes avec la nouvelle gestion de l’amas de Talbot, répondit Ottweiler. Dans un avenir très proche, le commissaire Verrochio et vous devriez recevoir une demande d’enquête sur le harcèlement systématique des transports commerciaux néo-toscans par Manticore. »

Le visage d’Hongbo exprimait un curieux mélange d’enthousiasme et de contrariété. Quoique par nature bien moins colérique que Verrochio, il n’avait pas apprécié l’humiliation subie à cause de Monica. Et l’argument concernant le tort causé à la réputation de la Sécurité aux frontières avait aussi été dûment enregistré. La DSF travaillait dur pour qu’aucun système des Marges n’eût envie de la contrarier, et laisser Manticore s’en tirer impunément ne ferait rien pour renforcer cette perception. Pour bien des raisons, Hongbo avait donc envie de remettre les pendules à l’heure. Cependant, il n’avait pas non plus oublié que l’opération Monica était censément infaillible : remettre le pied dans un piège à loup ne lui disait rien qui vaille. Par ailleurs, il était assez intelligent pour comprendre – comme l’avait compris Ottweiler lui-même – que, par l’implication de Byng et de Crandall, les intérêts en jeu se révélaient à la fois plus puissants et plus impitoyables qu’il ne l’avait d’abord cru.

« Je ne sais pas, Valéry. » Il secoua lentement la tête. « Ce que vous dites est très sensé et, dans des circonstances normales, je serais enchanté d’aider vos supérieurs, vous le savez. Mais les ordres que nous avons reçus par les canaux officiels manifestent ce qu’on pourrait appeler une clarté brutale. Lorcan et moi devons nous tenir tranquilles comme de bons petits garçons jusqu’à ce que les hautes sphères nous disent le contraire. De plus, même sans cela, Lorcan est presque aussi effrayé que vexé. Ce que les Manties ont fait aux croiseurs de combat de Monica l’a salement secoué.

— Je ne lui en veux pas, dit Ottweiler, sincère. D’un autre côté, vous pouvez lui faire remarquer que ces croiseurs étaient dirigés par des Monicains, non par des Solariens. Et qu’ils n’avaient pas la FLS tout entière derrière eux. Je suis sûr que les Manties, eux, sont conscients de ces petites différences, et, vu la reprise des opérations contre Havre, ils ne vont pas pouvoir détourner vers nous énormément de puissance de combat, même s’ils sont assez bêtes pour affronter directement la FLS. En tout cas pas assez pour poser un grave problème à Crandall.

— Mais s’ils ne sont pas plus au courant de la présence de Crandall que je ne l’étais avant que vous ne me l’appreniez, il est peu probable que ça ait un gros effet dissuasif sur eux. À moins, bien sûr, que quelqu’un n’envisage de les informer. »

Hongbo observait avec la plus grande attention un Ottweiler qui haussa les épaules.

« Je n’ai aucune lumière officielle à ce sujet, assura-t-il. Cela dit, j’ai bien l’impression que nul ne fera de gros efforts pour leur dire quoi que ce soit. Toutefois, le commissaire Verrochio est gouverneur de secteur : s’il en éprouve le besoin, je suis sûr que l’amiral Crandall déplacerait ses forces de Macintosh en Meyers. Par pure mesure de précaution, vous le comprenez. »

Hongbo hocha lentement la tête, concentré. Le Mesan n’était pas loin de voir les calculs qui se jouaient derrière ses yeux et se demandait s’il allait arriver à la même conclusion que lui.

« Tout ça est très réconfortant, dit enfin le vice-commissaire. Mais le fait demeure que Lorcan ne voudra pas. Pour être franc, c’est en partie de ma faute. Je ne me doutais pas qu’une idée pareille puisse être dans l’air, si bien que, quand nous avons reçu nos instructions du bureau central, j’ai fait de mon mieux pour contenir le caractère de Lorcan, et j’ai dû user de beaucoup de fermeté. Vous le connaissez. Je crains d’avoir trop bien réussi. Lui qui crachait le feu et le soufre, il craint à présent de donner au croquemitaine manticorien une nouvelle excuse pour lui sauter dessus. Changer cela va prendre du temps.

— Du temps, nous n’en avons pas beaucoup, dit simplement Ottweiler. Faites-moi confiance : la Nouvelle-Toscane sera très vite prête à bouger.

— Vous en êtes sûr ? La Nouvelle-Toscane se trouve à trois cent soixante années-lumière d’ici. Comment pouvez-vous être aussi convaincu qu’ils jouent le jeu, alors qu’ils sont à plus d’un mois de distance, même pour un messager ?

— Faites-moi confiance, répéta le Mesan. Le représentant qu’envoient là-bas mes supérieurs est très convaincant, et ce que les Néo-Toscans tireront de son argumentation va leur paraître extrêmement tentant. Ils nous aideront.

— Vous avez peut-être bien raison. Il est même possible que je le croie. Mais Lorcan ne s’engagera pas dans une telle voie avant d’en avoir confirmation. Et, même après, ça ne l’enthousiasmera guère. Je m’attends à ce qu’il freine des quatre fers à chaque pas.

— Alors, il va vous falloir être encore plus convaincant que d’habitude, dit Ottweiler. Il est clair que mes supérieurs n’oublieront pas ce qu’ils vous doivent à tous les deux dans cette affaire. Vous pouvez donc vous attendre à ce que vos efforts soient extrêmement bien récompensés.

— De cela, au moins, je ne doute pas. Mais ça ne change pas le fait que je serai obligé de lui faire avaler la pilule progressivement.

— Le temps qui nous est imparti est trop court pour que ce soit progressif. Crandall doit opérer un long déploiement dans le cadre de ses tests logistiques mais elle ne restera pas ici éternellement. Il faut qu’on lance la machine pendant qu’elle peut encore nous soutenir au besoin. C’est le facteur qui réduit notre marge d’opération, et le commissaire préférera sûrement qu’elle soit dans le coin au cas où il devrait faire appel à elle. De toute façon, j’ai ordre de lancer l’opération dans les meilleurs délais. Si vous pensez avoir besoin d’un moyen de pression supplémentaire sur lui, rappelez-lui donc ceci : mes supérieurs détiennent les preuves de toutes leurs transactions avec lui. Et, contrairement à lui, ils ne sont pas citoyens de la Ligue, donc pas soumis à ses lois. »

Hongbo se crispa, et pas seulement à cause de la fraîcheur glaciale qui avait gagné la voix de son interlocuteur. Ses yeux croisèrent ceux du Mesan, dont le message était tout à fait clair : s’ils avaient la preuve de leurs transactions avec Verrochio, ils avaient aussi celle de leurs transactions avec lui. S’ils étaient prêts à jeter Verrochio aux loups pour peu qu’il refusât de suivre leurs instructions, ils étaient tout aussi prêts à le livrer, lui, aux mêmes crocs affamés.

Hongbo Junyan avait toujours su que Manpower et les autres entreprises mesanes pouvaient être de dangereux bienfaiteurs. Les chances de se faire prendre étaient quasiment inexistantes dans des circonstances normales, et chacun savait que tout le monde faisait exactement la même chose. Ainsi fonctionnait le système, ainsi les affaires se traitaient-elles. Pour peu qu’un triste arrangement personnel fut découvert par inadvertance, on pouvait s’attendre à ce qu’il disparaisse bientôt au fond du panier intitulé « les affaires normales » ou « tout le monde fait pareil ». Le reste du système veillait à ce que ce soit le cas rapidement et en souplesse.

Si Manpower choisissait de révéler leurs rapports passés, on pouvait être sûr que ce serait aussi bruyamment – et efficacement – que possible. Après tous les problèmes déjà survenus dans la région, de nouvelles preuves spectaculaires de corruption et de complot mettraient l’eau à la bouche des journalistes, aussi Verrochio et Hongbo seraient-ils joyeusement jetés à la foule hurlante par leurs collègues du système. Lesquels mèneraient d’ailleurs sans doute la meute, criant plus fort que tout le monde dans le but de prouver leur propre innocence.

Tout cela était déjà fort ennuyeux mais il y avait pire : le Théâtre expliquait avec une infinie clarté depuis des années que les bureaucrates ou administrateurs collaborant avec Manpower alors qu’ils étaient censés combattre le commerce des esclaves génétiques ne faisaient pas partie de ses idoles. Il s’était du reste attaché à trouver des manières très inventives de le démontrer. Des manières en général ponctuées par des pluies de cadavres démantelés.

« Je ne pense pas que le bon commissaire se montre trop difficile si vous portez ce détail à son attention, n’est-ce pas, Junyan ? » demanda doucement Valéry Ottweiler.

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